Le réchauffement climatique ne pose pas à l’horizon d’une vie la question de la pérennité du vignoble bordelais mais il pose d’ores et déjà la question de la typicité des vins de Bordeaux et dans un futur proche celui de leur « supériorité ».

Une polémique a commencé à naître sur les conséquences du réchauffement climatique sur l’industrie viticole en général, sur le vin de Bordeaux plus particulièrement. Comme toute bonne polémique celle-ci se nourrit des exagérations dont les « spécialistes » ne sont jamais avares.
Non, l’existence du vignoble bordelais n’est pas menacée loin s’en faut. Sans même préjuger des solutions futures qu’apportera la recherche (très active), tant au niveau de la vigne que des chais, les connaissances actuelles permettent déjà de faire face aux changements climatiques en cours.
Ces changements, – ou notre conscience de ces changements -, semblent s’accélérer comme jamais ? Les connaissances dans le domaine viti-vinicole se sont accélérées dans les dernières décennies comme jamais également !
Certains s’inquiètent de ce que le cadre réglementaire français particulièrement contraignant soit un obstacle aux adaptations nécessaires ? Des dispositions dans le cahier des charges de telles ou telles AOC sont parfois surprenantes voir bloquantes. Cependant je ne m’inquiète pas trop des capacités de l’INAO à assouplir les règles quand il le faudra sous la pression du réel et des contraintes économiques.
Non, le changement dans le « goût du vin » de Bordeaux, selon l’expression du maître Emile Peynaud n’est pas un drame. Le changement est un mouvement continu en viticulture, y compris à Bordeaux. Dans les dernières décennies son moteur principal a été le progrès dans les techniques de vinification. Ce sera dans les prochaines décennies le réchauffement climatique.
Déjà en vingt-cinq ans de carrière j’ai vu les vins de Saint-Emilion que je produisais changer considérablement et pour diverses raisons : climatiques, techniques et mêmes commerciales. Même à Bordeaux vinifier des vins plus proches du goût des consommateurs est devenu un objectif avoué des « plus grands ».
Certes le vin de Bordeaux a ses intégristes mais globalement l’idée d’évolution n’a rien d’une hérésie pour l’amateur et l’histoire longue comme l’histoire courte l’ont prouvé.

Cependant il est légitime de s’interroger sur la qualité des évolutions des vingt dernières années et sur celles que nous réserve le changement climatique. Déjà il est permis de s’interroger sur les « progrès » qualitatifs récents.
Les optimistes relèveront le nombre décroissant de mauvaises années, heureux corollaire d’ailleurs du réchauffement climatique. Ils noteront le recul de la pratique de chaptalisation, les belles concentrations…
Les pessimistes mettront en avant une certaine uniformisation de la production et des arômes, des qualités de vieillissement amoindries, la qualité médiocre des vins de « base » de l’appellation Bordeaux, qui conduit dans leur cas jusqu’à s’interroger sur la pertinence de l’assemblage qui est l’essence même du Bordeaux.
Personnellement la tendance générale me déçoit mais il s’agit d’une opinion encore subjective. En revanche les changements climatiques à venir peuvent nourrir une inquiétude beaucoup plus objective parce qu’il est clair que certaines évolutions vont être imposées par l’évolution du terroir, et peut-être subies.
Le changement climatique en effet ce n’est pas seulement des été plus chauds mais une modification globale de l’environnement et donc de la conduite de la vigne et de la maturation des raisins. C’est l’idée de terroir, la complexité des vins, la signature particulière des grands vins de Bordeaux et de Bourgogne, dont l’horizon s’obscurcit.
Bien sûr le bordelais saura s’adapter à des hivers insuffisamment rigoureux, au réchauffement nocturne, à des vendanges plus précoces, à un équilibre acidité/ sucre différent. Bien sûr les moyens financiers au service de l’investissement technique et commercial entretiendront longtemps le mythe.
Cependant oui, les évolutions récentes et à venir posent clairement la question de la « supériorité » du terroir bordelais. Une redistribution de la hiérarchie des terroirs en France n’est plus inconcevable, elle est même probable et sera un des enjeux majeurs du XXIe siècle.